D’extraordinaire dans la littérature fantastique, le double est devenu au fil du XXe siècle ordinaire, banal et fréquent, parce qu’il est devenu banal dans notre conception de représentation du sujet. Certes, la dimension bioéthique du clonage repose la question en ce début de XXIe siècle. Le double est donc la figure narrative par excellence au XXe siècle, parce que réfléchir sur l’identité, c’est se réfléchir. Il offre de nombreuses possibilités littéraires et permet une réflexion de la littérature sur elle-même, cette réflexivité étant le propre de ce qu’on appelle la Modernité. Avec le dédoublement, l’humain perd une conception de lui-même d’unicité, et en l’occurrence, cela n’advient ni par la fabrication d’un androïde ni par la dissection. L’androïde copie l’homme, la dissection sectionne l’hu- main. Dans le cas du double, le problème de la copie est rendu caduc parce que le modèle de départ, le je humain a perdu son visage, s’est vu aliéné de l’intérieur, et le copiage du double se reduplique à l’infini au point de déstructurer l’identité qui apparaît comme morcelée et de scinder le corps en deux parties sexuellement différentes, non pas en le disséquant mais en révélant sa dualité interne (hermaphrodite) ou en l’extériorisant en deux corps semblables (jumeaux). La pensée du double devenue évidence de notre temps renonce, elle, à ce postulat de base : que l’humain serait unique. Ni machination, ni reproduction, l’être humain est conçu désormais dans son incontestable pluralité et son décentrement permanent : ni fabriqué, ni réparé, le corps est vidé et abandonné, l’être est sans cesse interrogé. Le corps du roman perd son être, discours et récit sont démembrés.